Sinead E. Laslow

IV. Histoire
Que la fête commence !



Lorsque la nuit recouvre de son drap noir le grand gardien de Londres, le temps s’arrête. La lumière du quotidien s’éteint laissant les lanternes colorées éclairer un tout autre monde. Un monde secret dissimulé derrière plusieurs façades de la ville. Des endroits où l’évasion domine sur la raison. La noblesse n’est plus un pré requis ; aucune règle sociale n’est instaurée. L’amusement et le plaisir sont les rois de la soirée. Les masques tombent libérant les hommes de leurs vies ennuyantes. Ils tentent de tout oublier noyant leurs angoisses, leurs craintes dans l’alcool et ils s’offrent du bon temps en admirant les divines jeunes femmes sur la scène. Des numéros musicaux dynamites virevoltant des paillettes et des plumes, des talons hauts qui claquent au contact du sol, l’alcool coulant à flot. L’univers des Cabarets. Voilà le paradis terrestre ! Une belle nuit magique; un monde de débauche.

Au-delà de la scène, derrière les rideaux de velours, caché sous les jupes à crinoline, un jeune garçon patiente. À tous les soirs, il s’installe dans les coulisses auprès des costumes afin d’admirer les plus belles des femmes; sa mère. Sa silhouette fine et svelte vole au travers de l’éclairage. Elle danse avec grâce et finesse guidée par la musique de l’orchestre. Sa voix suave et tendre porte jusqu’au fond de la salle. Tout pour plaire aux hommes qui ne cessent de l’applaudir. À chaque fin de performance, des roses sont installés dans sa loge. La bonne odeur ne faisait qu’embellir cette petite pièce qu’elle partageait avec d’autres danseuses du cabaret. La plus belle, la plus aimée et la plus merveilleuse pour un tout petit garçon. Sinead avait de la chance. Dory Edward était une célébrité, mais une mère exemplaire.

Monsieur Gable ne pouvait le croire; il devait annuler la représentation. On avait conduit sa star à l’hôpital accompagnée de la plupart des danseuses qui souhaitaient la supporter. Elles savaient tous que le père de cet enfant ne viendrait sans doute pas assister à l’événement. Dory était ferme à ce sujet. Cet enfant jouira de tout l’amour du monde, même sans père. Le beau petit prince naquit sans difficulté. Dory remercia le Ciel; elle portait dans ses bras un enfant en santé. Cependant, elle finit par donner un deuxième nom à son fils; Laslow.

Ses supérieurs lui accordèrent peu de temps avant de remonter sur les planches. Ne pouvant pas confier la garde de son enfant à des membres de sa famille, le petit Sinead fut trimballé par la plupart des membres du cabaret. Chacun d’eux prirent soins du petit pendant que maman pratiquait ses numéros. Tous tombèrent sous le charme du petit bambin. Il restait rarement dans son lit. Des pleurs lui suffirent pour avoir l’attention de tous. Toutefois, seule sa mère parvenait à découvrir les moindres demandes de son enfant. Un regard, un geste et Sinead était comblé. Il était l’attraction de la place. Tous les membres du personnel et les artistes connaissaient le petit Sinead. Il restait éveillé dans les bras d’une danseuse jusqu’à ce que maman finisse son numéro.

À quatre pattes, à deux pattes, il était toujours derrières les rideaux regardant sa mère chanter et danser pour son public. La fierté du jeune devenait de plus en plus grande comprenant l’ampleur de la popularité de Dory. Sa mère est une star et tout le monde la respectait. Enfin, pas tous. En dehors des murs du Cabaret, des voix fortes grondaient la danseuse. Des vieilles femmes habillées de drôles de tenues ne cessaient de pointer Dory parlant de l’enfer et du pêché. Sinead ne comprenait pas ce que ces méchantes sorcières reprochaient à sa mère. Elle était une pècheresse pour ces femmes, mais au travers du regard d’un enfant, c’est un ange qui danse, le soir.

Un ange qui le comble de bonheur et d’amour. Il vit dans un monde merveilleux entouré d’artistes aux multiplies talents et des gens serviables prêt à tout pour l’aider. Néanmoins, pour Dory, une crainte la tourmentait pour son fils. Vivre dans un cabaret n’était, sans doute, pas très saint. Il vivait autour de femmes habillées dans des accoutrements qu’on juge obscènes. Il connait, à son jeune âge, plus les noms des boissons que les barmans servent que les noms des animaux. L’odeur des cigares est tout à fait naturelle dans ces narines. Il préfère danser le tango avec les jeunes danseuses espagnoles que jouer avec les autres enfants du quartier. Elle savait que son fils se dirigeait, tout comme elle, dans un monde de spectacle. Malheureusement, elle ne lui souhaitait pas ce genre de vie; instable, vile et insécurisée.

Il a du talent. Elle le voyait. Monsieur Gable aussi. Son école est le Cabaret Paradise. Le petit protégé semblait acquérir les connaissances de tous; danse, chant, instruments et même confection de boisson.

Sa curiosité le menait loin. Lors des pratiques de sa mère, Sinead se frayait un chemin pour se rendre dans la salle jusqu’à Shoots, le barman. Shoots était son surnom. Shoots puisqu’il préparait les meilleurs shooter de la ville.Son véritable nom était inconnu de plusieurs. Sinead n’avait jamais osé enfreindre cette règle, car on disait que le prononcer entraînerait des conséquences graves. L’imagination du jeune étant fertile, il voyait Shoots comme un agent secret enquêtant sur une affaire fort importante. Pour un agent, il connaissait beaucoup la boisson. Chacune avait un nom et une manière de l’apprêter. Sinead en apprit un chaque jour lorsque sa mère devait s’absenter. C’est avec lui que les mathématiques furent un jeu d’enfant. Lors de l’inventaire, il secondait Shoots en comptant les boissons manquantes pour la prochaine commande. Peu à peu la confiance régnait entre eux au grand désespoir de sa mère. Voir son fils auprès d’un ivrogne la rendait folle d’inquiétude. Malgré l’éducation qu’il lui inculquait, cela restait un homme sans histoire. Un homme qui pourrait forcément influencer son fils.

Elle avait raison. Sinead semblait admiré Shoots lors des grandes soirées. De la coulisse, il observait le barman manipuler les verres et les boissons avec doigtées créant des tollés d’applaudissements. Il lui a glissé qu’il travaillait dans un cirque comme étant jongleur, il y a quelques années. Avec ce bagage, il se permettait quelques petits tours approchant les clients potentiels. Monsieur Gable appréciait ce genre de charisme contrairement à Dory qui voyait Sinead de plus en plus ébahi par cet homme. Son enfant grandissait et il n’avait que le monde du spectacle en tête. L’idée de l’école devenait de plus en plus précis…

Quand le jeune garçon aperçu les livres de classe; il s’opposait totalement. L’école, pour lui, était un endroit dont seuls les jeunes garçons et filles riches pouvaient entré. Il voyait de la porte du cabaret ces autres enfants marchés vers l’école. Ils le regardaient comme un chien; un enfant de prostitué. Sa mère le rassura expliquant que tous les enfants ont le droit d’entrer dans cette école et qu’il avait rien à craindre.

« Mon chéri, sache qu’il y a toujours une place pour toi où que tu désires. Tu es un garçon spécial et tu mérites comme tous les autres enfants d’aller à l’école. Ignore ce que les autres diront de toi. Aucun d’entre-deux n’a autant talent que toi. »

Ce sont ces paroles qui permirent à Sinead d’affronter sa peur des autres. Être spécial, avoir du talent que personne d’autres ne possède. La fierté…


À suivre...